De 1968 à 1972, 1814 renards sont trouvés enragés par les laboratoires : ce chiffre ne doit représenter que le 8ème ou le 10ème du nombre réel de renards contaminés. La rage poursuit sa progression, mais la distance franchie entre 31/12/71 et 31/12/72 représente en moyenne 10 à 15 km en avant du front, chiffre nettement inférieur aux distances parcourues les années antérieures, sauf en ce qui concerne les Vosges, la Haute-Saône, les Ardennes et l’Aisne. Grâce à un contrôle plus strict des populations de renards d’une part, et d’autre part à la mise en place de la vaccination associée fièvre aphteuse-rage sur 400 000 bovins des zones contaminées en 1971 et 1972, on observe une régression spectaculaire du nombre de bovins atteints de rage : 134 en 1972 contre 245 en 1971 et 145 en 1970.

Ces bonnes nouvelles ne durent malheureusement pas, et pendant le 1er semestre 1973 on enregistre plus de cas de rage que pendant toute l’année 1972 (1167 contre 1026) : la rage est donc en pleine progression et la direction privilégiée du front est alors nettement Nord-Sud, achevant l’envahissement du département des Vosges et accentuant l’avance de l’enzootie dans le département de la Haute-Saône.

En 1974, commence une recontamination lente en arrière du front de rage (dans les premières zones atteintes en 1968-1969), mais on ne note pas d’extension massive ou très rapide en avant. Aucun élément nouveau ne permet cependant d’espérer dans l’immédiat une efficacité plus grande de la prophylaxie.

En 1975, 18 départements sont atteints par l’enzootie de rage. Entre le 1er janvier et le 31 mai 1975, 878 cas de rage ont été enregistrés. Le front avance selon deux axes principaux : vers l’Ouest et la région parisienne avec une poussée qui atteint la forêt de Compiègne (la rage est à 40 km de Chantilly et à 40 km de la limite départementale de la Seine-et-Marne), et vers le Sud à travers le département du Doubs. La région d’Auxerre dans le département de l’Yonne est atteinte par la progression du front.

En 1976, on constate une recrudescence très nette de la rage dans les zones situées en arrière du front et qui ont été contaminées en 1969, 1970 et 1971. Les populations de renards se sont reconstituées après le 1er passage de la rage, qui avait tué 60 à 80% des populations vulpines.

Le bilan sur l’avancée de la rage est très difficile à établir en 1977, car il est essentiellement fondé sur les prélèvements recueillis sur les renards, et les postiers refusent à partir de décembre 1976 d’acheminer les colis de prélèvements, à la suite d’incidents causés par des paquets mal faits ; après une interruption de plusieurs semaines, l’Administration des Postes veut bien reprendre le transport de colis contenant des prélèvements, mais un seul bureau de poste par département est habilité à réceptionner ces envois sous la responsabilité de la Direction des Services Vétérinaires de ce département. Ce problème d’acheminement des prélèvements pourrait paraître anodin, mais ne l’est pas du tout : avant ces incidents, le C.E.R. recevait en moyenne 30 à 40 prélèvements par jour, et n’en reçoit dès lors plus que 10 à 20, qui proviennent en général d’animaux domestiques non enragés. Un nombre insuffisant de renards est examiné, ce qui perturbe les statistiques de suivi de la rage. Par la suite, pour sécuriser l’acheminement des prélèvements, l’Etat décide de prendre en charge les frais d’expédition, si l’envoi du colis est réalisé par un laboratoire vétérinaire départemental ; ce remboursement n’est donc pas effectué si le prélèvement est envoyé par un particulier, ou même par un vétérinaire sanitaire.

A partir de 1980, le front de rage ne progresse plus en France, sauf vers la région parisienne. Cette situation fait de la France un des pays qui résistent le mieux à l’avance de l’épidémie vers l’Ouest. En 1981, seulement 22 départements restent contaminés, contre 25 en 1979, mais malgré la diminution du nombre de départements atteints, le nombre de cas de rage chez les espèces « sentinelles » (chats, bovins), qui sont le plus souvent à l’origine de la contamination humaine, est en augmentation.

En 1984, le front reste stable, hormis l’avance en direction de la région parisienne. Entre 1980 et 1984, seule la Seine Saint Denis, déclarée infectée le 3 août 1984, est venue allonger la liste des 29 départements contaminés. On assiste à un reflux très net du front de l’enzootie vers les frontières du Nord-Est.

Le bilan du nombre de cas de rage enregistrés entre 1972 et 1984 en France montre deux pics chez les animaux sauvages, le premier entre 1973 et 1976, et le second entre 1981 et 1984. Chez les animaux domestiques, mis à part un pic discret en 1976, le nombre de cas de rage reste assez constant avant d’augmenter brutalement en 1981, en même temps que le nombre de cas chez les animaux sauvages. Le maximum de cas enregistrés chez les animaux sauvages est enregistré en 1982, avec 2 530 cas, dont 2 408 chez les renards, ce qui entraîne la même année un nombre encore jamais atteint de cas de rage chez les animaux domestiques (909 cas dont 657 chez les ruminants, 144 chez les chats et 68 chez les chiens). Cette recrudescence du nombre de cas de rage est essentiellement due à une explosion démographique de la population vulpine, en raison, très probablement, de conditions climatiques et alimentaires très favorables dont elle a bénéficié en 1982.

Ce bilan montre que même si les mesures de lutte mises en œuvre en France ont permis de stopper l’avancée du front de rage, la recontamination des zones situées en arrière du front est inévitable, et le nombre total de cas, loin d’avoir diminué, a globalement augmenté, surtout chez les animaux domestiques. Malgré toute l’efficacité des mesures mises en place par l’Entente au niveau des renards, telle qu’on a pu la décrire au cours de cet exposé, il manque une méthode complémentaire à toutes les autres pour éradiquer la rage en France.

Une solution laisse néanmoins entrevoir un espoir en 1986, la vaccination par voie orale des renards, pratiquée en Suisse depuis 1978, qui a permis dans ce pays de voir apparaître une zone entière de réduction, voire de disparition des foyers de rage. Ce sont les raisons du refus de la France de mettre en place cette vaccination par voie orale jusqu’en 1986, puis les motifs qui l’ont poussée à changer d’avis, et les modalités de sa mise en place en France, que nous allons maintenant étudier.

Nombre de cas de rage recensés chez différentes espèces
entre 1979 et 1981

Année
Renards
Chiens
Chats
Bovins
1979
587
23
14
21
1980
657
23
16
25
1981
593
12
21
27

Situation du front de rage en 1984

Front de la rage au 31 décembre 1984

Extension maximale de la rage depuis 1968

Incidence de la rage en France chez les animaux sauvages
et les animaux domestiques
entre 1972 et 1984

Nombre d’animaux domestiques enragés 

Nombre d’animaux sauvages enragés


 

 

Comments are closed.